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Dans les hôpitaux Suisses, les frontaliers en première ligne

Dernière mise à jour : 19 févr. 2021

Pour les hôpitaux des cantons de Vaud et Genève, en Suisse, la fermeture des frontières avec la France au plus fort de la crise sanitaire aurait signé un scénario catastrophe : le personnel frontalier y joue un rôle essentiel, explique le quotidien Le Temps.


À l’origine de l’initiative qui veut redonner à la Suisse sa pleine souveraineté en matière d’immigration, l’UDC [Union démocratique du centre, parti nationaliste et conservateur] estime que la libre circulation des personnes est la source de tous les maux en Suisse : un pays bientôt surpeuplé et trop densifié, dont la main-d’œuvre souffre de la pression de la concurrence étrangère. Sur le front du marché du travail, la réalité est pourtant différente. Ainsi, le Groupement hospitalier de l’Ouest lémanique (Ghol) est totalement dépendant de l’apport des frontaliers.


Le personnel hospitalier mobilisé comme jamais

Cela aurait été le scénario catastrophe durant la crise du coronavirus : la fermeture des frontières, si le président français, Emmanuel Macron, avait décidé de la décréter. “Il nous aurait manqué 270 personnes sur un effectif de 520 soignants”, explique Franco Prisco, directeur des ressources humaines du Ghol. Ce scénario, le Ghol l’a esquissé en imaginant trouver quelques dizaines de chambres pour ces employés. Il n’a heureusement pas dû le concrétiser.


Durant le confinement, l’ensemble du personnel s’est mobilisé comme jamais pour faire face à la pandémie. “J’ai dû mettre ma famille entre parenthèses et aligner les journées de douze heures. J’avais mes affaires dans mon coffre de voiture”, raconte Estelle Muffat-Méridol, coordinatrice du pôle ambulatoire et des flux de patients. Domiciliée en Haute-Savoie, cette maman (37 ans) de deux filles avoue qu’elle n’a pas eu le temps de penser au problème de la frontière :

Ma vocation est de soigner des patients, qui attendent principalement une prise en charge par un personnel compétent et parlant la même langue qu’eux, quelle que soit leur nationalité.”

L’avantage : la possibilité de se perfectionner

Estelle Muffat-Méridol est certes frontalière, mais considère qu’elle vient de la même région translémanique. Elle compte donc bien poursuivre sa carrière en Suisse, un pays qui lui offre de belles perspectives de développement personnel.

C’est là l’atout principal dont dispose la Suisse par rapport à la France voisine, estime pour sa part Jean-Luc Danckaert (52 ans), un Franco-Belge désormais adjoint au directeur des soins. Bien sûr, ses hôpitaux offrent des salaires sensiblement plus élevés – pour un temps de travail hebdomadaire de quarante à quarante-deux heures contre trente-cinq en France –, mais ce critère financier n’est pas déterminant :

La force du système de santé suisse, c’est sa capacité à entretenir la formation tout au long du parcours professionnel. En Belgique, il fallait s’arrêter de travailler pour se spécialiser.”

Jeune diplômé, Jean-Luc Danckaert a travaillé dans plusieurs établissements français. “Il y existe une logique de production des soins qui fait qu’on a l’impression de travailler à la chaîne. En Suisse, la satisfaction au travail est plus grande.”


La Suisse manque de personnel spécialisé

C’est sûr : les frontaliers sont heureux de leurs conditions de travail, et la Suisse pourra compter sur eux si nécessaire. Cela n’empêche pas de remettre en question la politique helvétique de formation. Il ne fait aucun doute que la Suisse n’a pas formé assez d’infirmières et d’infirmiers spécialisés ces dernières années. Franco Prisco constate :

Le marché est asséché concernant les fonctions spécialisées comme instrumentiste, anesthésiste ou intensiviste. Dans ces domaines, nous sommes clairement dépendants de la main-d’œuvre française, principalement frontalière.”

Âgé de 56 ans, ce dernier dirige les ressources humaines du Ghol depuis vingt ans. C’est-à-dire qu’il a connu la période des contingents, à laquelle la Suisse devrait revenir si l’initiative de l’UDC [qui vise à résilier l’accord de libre circulation des personnes] était acceptée par le peuple le 27 septembre prochain. Au sein du canton, la Fédération des hôpitaux vaudois disposait d’un contingent pour tous ses membres.

“Pour créer un nouveau poste, il fallait justifier son besoin auprès du Service cantonal de l’emploi et auprès de la commune de domicile, qui préavisait la requête. Ce système était administrativement lourd et ralentissait l’engagement d’un nouveau collaborateur de deux à trois mois”, témoigne-t-il.

L’inconvénient : les horaires de travail

Directeur du Ghol depuis vingt-sept ans, Daniel Walch acquiesce. “À l’époque, je me souviens que je me battais pour un poste face à mon homologue de l’hôpital de Morges. Si nous devions retourner à ce régime, c’est l’ensemble du système de santé qui serait perdant”, renchérit-il.

Face à la pénurie d’infirmières et d’infirmiers, Daniel Walch réfléchit à d’autres solutions. Le vrai problème, le plus grave aussi, c’est l’incapacité chronique à fidéliser ce personnel, qui ne reste en moyenne que quinze ans dans la profession, que certains abandonnent à l’âge de 40 ans déjà. “Si nous parvenons à les garder dix ans de plus, nous pouvons régler une grande partie du problème”,en déduit-il.

Comment ? En offrant des conditions de travail permettant aux soignants de mieux concilier leurs vies professionnelle et familiale. Sur un point, le directeur est satisfait. Le Ghol dispose déjà d’un centre de vie enfantine, soit une crèche accueillant 150 enfants jusqu’à 6 ans. En revanche, sur un autre plan, Daniel Walch se désole :

Nous devons désormais travailler sur l’individualisation des horaires. Là, nous sommes encore très mauvais en Suisse.”

Cela nécessite une gestion très complexe des plans de travail des collaborateurs. Un défi à relever, qui serait une partie de la réponse à l’initiative de l’UDC.

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