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Le Léman Express ne suffira pas à remettre le Grand Genève sur les bons rails

Mis en service il y a un mois, le Léman Express est salué comme un pas en avant historique pour la mobilité douce dans l’agglomération franco-valdo-genevoise. Mais si la coopération franco-suisse n’évolue pas, le plus grand réseau RER transfrontalier d’Europe risque d’accroître encore les disparités entre Genève et sa périphérie française, avertit le chercheur Sébastien Lambelet.

Source: SwissInfo.ch


Les emplois pour Genève, les logements dans les départements français voisins de l’Ain et de la Haute-Savoie: c’est en résumé la politique de développement qui a prévalu ces dernières décennies dans l’agglomération franco-valdo-genevoise, l’une des plus dynamiques d’Europe.


Avec pour corollaire des charges exponentielles pour les collectivités françaises, qui doivent investir massivement dans leurs infrastructures publiques pour accueillir chaque année les milliers d’habitants – français et suisses – qui ne parviennent pas à se loger à Genève.

Spécialiste des agglomérations à l’Université de Genève, Sébastien LambeletLien externe jette un pavé dans la mare. Alors que la mise en service du Léman Express est applaudie de toutes parts, ce jeune chercheur estime que faute d’une meilleure gouvernance transfrontalière, le déséquilibre en défaveur du bassin français du Grand Genève pourrait encore s’accentuer dans les années à venir. Entretien.


swissinfo.ch: L’inauguration du Léman Express a été qualifiée de «moment historique» pour la mobilité transfrontalière à Genève. Or vous ne partagez pas totalement cet enthousiasme. Pour quelle raison?

Sébastien Lambelet: Le Léman Express ouvre effectivement le champ des possibles pour une mobilité plus douce et orientée vers le rail dans la région du Grand Genève et son million d’habitants. Reste que Genève ne fait finalement que rattraper son retard par rapport aux autres agglomérations suisses. Rappelons par exemple qu’un réseau RER performant existe depuis près de trente ans à Zurich, vingt-deux ans à Bâle et quinze ans à Lausanne.

De même, il faut bien voir que dans les années 1930, Genève disposait d’un import


De même, il faut bien voir que dans les années 1930, Genève disposait d’un important réseau de trams transfrontaliers, avant que les rails ne soient enlevés au milieu du siècle dernier pour faire place nette à la voiture.


Tout de même, n’est-on pas en train de vivre une révolution dans la manière de concevoir la mobilité dans l’agglomération genevoise?

Avec le Léman Express, on a trouvé un joli nom mais qui est un rien galvaudé. Le nouveau RER transfrontalier est surtout «express» sur territoire suisse. Dès Annemasse, ça se complique. Il faut par exemple compter une heure et demie de trajet pour rejoindre Annecy depuis Genève.

Entre Bellegarde et Saint-Julien, il n’y a qu’un train par heure aux heures de pointe et des régions entières comme le Pays de Gex ne sont pas reliées au RER transfrontalier. C’est donc un pas dans la bonne direction, mais seulement un premier pas.


Deux semaines seulement après la mise en service du Léman Express, le Premier ministre français Édouard Philippe publiait un décret autorisant la construction d’une autoroute de 16,5 km aux portes de Genève visant à désenclaver le Chablais français. N’est-ce pas totalement aberrant?

En termes de stratégie de communication, c’est effectivement un peu malheureux que ce projet ait été remis sur la table si rapidement après l’inauguration du Léman Express. Reste que ce projet d’autoroute existe depuis les années 1980. Le Chablais français est aujourd’hui encore peu doté en infrastructures de transport. Il a toute la légitimité à vouloir rattraper son retard. Ce qui est symptomatique dans cette annonce, c’est le manque de coordination dans la mise en œuvre du plan de mobilité entre la Suisse et la France.

La classe politique genevoise a beau jeu de s’indigner et d’annoncer vouloir recourir contre la construction de l’autoroute. Rappelons qu’à chaque fois que des élus français dénoncent les politiques de développement à Genève, on leur dit que cela ne les regarde pas et on leur suggère de retourner à leurs affaires. Il y a donc deux poids deux mesures dans cette indignation.


Si on vous comprend bien, le Léman Express ne va pas permettre d’apaiser d’un coup de baguette magique des relations transfrontalières passablement tendues à Genève?

Non, effectivement. Il a par exemple suffi d’une simple publicité pour le tourisme d’achat sur un tram genevois pour ébranler les relations franco-suisses. Le point positif, c’est que la question transfrontalière était pour une fois au centre de l’attention à l’occasion de l’inauguration du Léman Express.


Mais pour que cet effet soit durable, les élus genevois doivent se montrer plus conscients des enjeux communs et cesser une fois pour toutes de jouer le chacun pour soi. Si cette dynamique de gouvernance transfrontalière ne change pas, le Léman Express pourrait produire des effets contre-productifs.


Comment cela?

Selon les derniers chiffres de l’Observatoire statistique transfrontalier, le canton de Genève n’a accueilli que 35% des 76'000 habitants arrivés dans l’agglomération entre 2011 et 2016, tandis que 55% de ces nouveaux arrivants ont trouvé un logement dans le Genevois français. Dans le même temps, 67% des nouveaux emplois de l’agglomération ont été créés dans le canton de Genève, contre 21% dans le Genevois français.

On est donc très loin du rééquilibrage du ratio logement-emploi souhaité dans les projets d’agglomération depuis 2007. Or le Léman Express risque encore d’accroître les disparités entre le centre et la périphérie de l’agglomération. Avec un temps de parcours diminué, les habitants de la région seront tentés de s’installer toujours plus loin de Genève tout en continuant à venir y travailler.

Mais ces personnes renonceraient à la voiture et ne viendraient donc pas encombrer les routes genevoises. En quoi cela poserait-il problème ?

Il faut réfléchir au-delà de la seule mobilité quotidienne. Genève exporte aujourd’hui déjà une bonne partie des effets négatifs liés à sa croissance économique vers la France voisine. Le canton est en position de force: il peut par exemple se permettre de ne pas couper un arbre centenaire tout en sachant que les logements qu’il renonce à construire seront de toute façon construits en France voisine. 


Or, on ne peut pas constamment refuser la densification au nom de l’écologie tout en renforçant l’étalement urbain dans le Genevois français. C’est aberrant!


Les responsabilités ne sont-elles pas partagées de part et d’autre de la frontière? 

Je pense que les élus locaux français ont une plus grande conscience du vivre-ensemble transfrontalier. Ils savent qu’ils ont intérêt à collaborer, car leur prospérité dépend du bon fonctionnement du Grand Genève. Plusieurs d’entre eux sont par ailleurs des travailleurs frontaliers.

A contrario, les autorités genevoises ne manifestent pas un grand intérêt à concrétiser les engagements pris dans le cadre du projet d’agglomération, à l’instar de la promesse faite de construire 2500 nouveaux logements par an. Avec une politique plus volontariste, elles arriveraient certainement à convaincre une majorité de Genevois de voter en faveur des projets qui visent à une meilleure densification du territoire.


Source: SwissInfo.ch

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