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«Le modèle suisse semble bien fonctionner»

La renommée de l’innovation helvétique s’expliquer par l’étroite collaboration entre l’industrie et le monde académique et l’approche subsidiaire de l’Etat.

Source: AGEFI.com


Selon les classements des nations les plus innovantes, la Suisse est systématiquement sur le podium mondial. Pour expliquer l’excellence de l’innovation helvétique, deux éléments sont systématiquement mis en exergue: l’étroite collaboration entre l’industrie et le monde académique ainsi que l’approche subsidiaire de l’Etat. En revanche, dans beaucoup d’autres pays comme la France ou le Japon, l’Etat sélectionne certains domaines considérés comme prioritaires du type intelligence artificielle ou blockchain et injecte massivement de l’argent public dans l’espoir de mettre sur pied des pôles de compétence correspondants.

En Suisse, la collaboration entre l’industrie et le monde académique est fomentée notamment par Innosuisse, l’agence pour l’encouragement de l’innovation basée sur la science. Cette organisation de 58 personnes (équivalent plein temps) a perçu l’année passée des contributions fédérales à hauteur de 221 millions de francs. C’est dans son siège bernois, sis à la rue Einstein (sic) en plein quartier diplomatico-résidentiel, qu’Annalise Eggimann, directrice d’Innosuisse, a reçu l’Agefi pour une interview dans la langue de Goethe.


Suite à la pandémie, quelles actions spécifiques avez-vous mis en place?

Dans la mesure du possible, nous souhaitons la poursuite des diverses initiatives innovantes que nous soutenons. Nous proposons donc des solutions pragmatiques pour le financement du millier de projets d’innovation en cours. En outre, nous offrons des extensions de délai concernant les chèques d‘innovation destinés à financer des études préliminaires. Finalement, nous avons prolongé la durée d’autres offres d’encouragement comme par exemple le coaching de start-up. Ce faisant, nous n’avons pas changé les conditions-cadres de notre encouragement puisque ces dernières sont inscrites dans la loi.


Quid du comité d’experts constitué par Innosuisse pour évaluer les demandes d’aide fédérale aux jeunes pousses (prêts garantis à concurrence d’un million de francs par start-up)?

L’évaluation des demandes incombe aux services cantonaux compétents. Si besoin et sur demande des cantons, le comité d’experts évaluera les entreprises postulantes pour déterminer si elles peuvent être considérées comme des start-up fondées sur la science ou la technologie. Ce comité est déjà constitué: sa mise en place a été rapide car les douze organisations d’envergure nationale que nous avons contactées ont accepté de faire partie pro bono de ce comité.


Toutes les nations du monde souhaitent être à la pointe dans le domaine de l’innovation. Certains Etats financent même d’imposantes agences de l’innovation...

La Suisse est à la pointe de l’innovation selon divers classements internationaux. Le modèle suisse semble donc plutôt bien fonctionner. Je suis d’avis qu’une agence étatique dont le rôle est d’encourager l’innovation doit endosser un rôle subsidiaire. La raison est simple: ce sont les entreprises privées qui sont le mieux placées pour innover et identifier les meilleures opportunités commerciales découlant de l’innovation. L’État ne doit apporter une contribution que si des projets ne peuvent pas être financés autrement, par exemple parce qu’ils comportent des risques commerciaux, en plus d’un fort potentiel d’innovation.


La subsidiarité est une notion récurrente au sein de l’Administration fédérale. Comment l’appliquez-vous concrètement? Et pourriez-vous être encore plus subsidiaire?

Concrètement, nous veillons à éviter les effets d’aubaines, c’est-à-dire le financement d’initiatives novatrices qui se feraient de toute façon sans notre concours. Savoir jusqu’où une agence comme Innosuisse doit aller est en soi une question difficile. C’est notamment pour cette raison que nous tenons à ce que les entreprises participent au financement de leurs projets. De plus, notre rôle consiste aussi à mettre en contact le secteur privé avec le monde académique afin de promouvoir l’innovation.


Quelles sont vos activités phare pour encourager l’innovation?

Ce sont les projets d’innovation. Nous en avons un millier en cours et ils représentent 70% de nos ressources financières. Ces projets sont toujours une collaboration entre une entreprise et un partenaire académique (EPF, université, HES). Nous finançons au maximum 50% des coûts de ces projets. Ces projets permettent aux entrepreneurs d’avoir accès au savoir-faire technologique et scientifique; quant aux partenaires académiques, ils ont l’opportunité de rester en contact avec les réalités commerciales.


En Suisse, pour promouvoir l’innovation, il existe une profusion d’organisations...

Il y a les entités du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) en charge de la thématique (en particulier le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation), des organisations fédérales d’encouragement financées majoritairement par la Confédération (Innosuisse, le Fonds national suisse, Switzerland Innovation, etc.), des entités intercantonales (Platinn, etc.) et des entités cantonales. Et puis il y a toutes les initiatives privées (digitalswitzerland, Le Réseau, SEF4KMU, Swiss4Tech, Venture Lab, Swiss Venture Club, Genilem, etc.). A cela, on peut rajouter les associations politiques comme la Swiss Entrepreneurs & Startup Association qui vient d’être créée. Je dirais que cette diversité sied bien à la Suisse et à son fédéralisme. L’important est de savoir qui fait quoi et de coordonner nos efforts.


Néanmoins, chaque entité tout au moins celles qui perçoivent des fonds étatiques doit allouer une partie de ses ressources à la rédaction de plusieurs rapports volumineux...

Nous encourageons l’innovation avec de l’argent public. Il est donc normal de rendre des comptes au public. De ce point de vue, ces rapports ne me semblent pas excessifs. Dans le cas d’Innosuisse, [nous rendons des comptes] notamment par le biais de notre rapport annuel de gestion qui comprend aussi les comptes annuels. En outre, pour évaluer le bien-fondé de nos activités, des sociétés tierces mènent plusieurs analyses d’impact fouillées. Finalement, nous éditons aussi notre magazine annuel intitulé Discover pour expliquer nos activités à un public plus large.


«Il est complexe de quantifier les véritables impacts de nos actions»

Votre organisation a récemment changé de nom et de forme juridique...

Depuis janvier 2018, Innosuisse est l’agence de la Confédération pour l’encouragement de l’innovation. Nous sommes devenus un établissement de droit public. Autrement dit, nous avons maintenant notre propre personnalité juridique et nous agissons sous notre propre responsabilité. Innosuisse a succédé à un organe de la Confédération appelé «Commission pour la technologie et l’innovation (CTI)».


Quels sont les avantages de ces changements?

Ces changements visaient plusieurs objectifs. Ils nous confèrent plus de flexibilité et permettent une meilleure collaboration avec d’autres entités du domaine de la recherche et de l’innovation, par exemple le Fonds national suisse. Financièrement, l’objectif était de devenir plus agile et d’avoir la possibilité de constituer des réserves à concurrence de dix pourcents de notre budget, voire plus dans le futur. La solution actuelle n’offre pas encore assez de flexibilité pour gérer les montants d’encouragement engagés sur plusieurs années. Finalement, l’organisation précédente avait essuyé quelques critiques à cause du manque de séparation claire entre les personnes en charge de la stratégie et celles responsables de l’opérationnel. L’organisation d’Innosuisse permet justement cette séparation.


Votre organisation est complexe: le Conseil fédéral, un conseil d’administration, un conseil de l’innovation et une direction, en plus du Parlement et de l’organe de révision. Trop de chefs dans le cockpit?

Non, chacun tient un rôle spécifique. Le Conseil fédéral ne fait pas partie d’Innosuisse même s’il définit les grandes lignes stratégiques en tant que représentant de notre propriétaire, c’est-à-dire la Confédération. En fait, notre organisation comprend les organes classiques: un conseil d’administration, une direction et un organe de contrôle, en l’occurrence le Contrôle fédéral des finances. En plus de cela, nous avons en effet un conseil de l’innovation qui est notamment en charge d’évaluer les projets d’innovation: il approuve ou rejette les demandes d’encouragement. A mon sens, la séparation de la gestion générale de notre organisation des décisions d’encouragement est une question de bonne gouvernance. Finalement, comme nous percevons des fonds publics fédéraux, il est normal que le Parlement fédéral approuve nos budgets et s’intéresse à nos activités.


Vous êtes évalués par le Conseil fédéral en fonction du nombre de projets soutenus, de participants à vos cours, etc. Pourquoi ne pas mesurer les résultats finaux?

Nous voulons évaluer les résultats finaux. Le Conseil fédéral a d’ailleurs inclus cet aspect dans nos objectifs stratégiques. Pour ce faire, nous renforçons et nous systématisons l’analyse de l’impact de nos activités. A cet égard, du temps de la CTI, il y avait déjà des analyses d’impact réalisées par des organes externes, par exemple le Centre de recherches conjoncturelles KOF de l’EPFZ. Dans le cadre de ces études et à titre d’exemple, les start-up soutenues par nos coachs sont interrogées pour déterminer combien de places de travail ont été créées.Il faut aussi reconnaître à quel point il est complexe de quantifier les véritables impacts de nos actions sur l’économie car nous ne sommes qu’un acteur parmi tant d’autres. A titre de comparaison, il est aussi difficile de quantifier la contribution de la publicité au succès d’un produit.


«Lever des fonds auprès du secteur privé est possible avec une approche innovante»

Comme seulement une petite minorité de vos coachs pour start-up représente la gente féminine, le Conseil fédéral vous demande de prendre des mesures correctives. Une injonction politique?

Je ne le vois pas comme cela. Plusieurs études ont démontré que la parité homme-femme permet d’optimiser l’efficacité dans le monde de l’entreprise. Cela est dû à la complémentarité des compétences entre les genres et à la diversification des perspectives. En plus, la présence de modèles féminins est essentielle. Comme tous nos coachs sont au bénéfice d’une expérience de création de start-up, ils sont considérés comme des exemples à suivre. Nous nous efforçons donc d’augmenter continuellement le nombre de coachs femmes.


Vous êtes financés presque exclusivement par des fonds publics fédéraux. Le Conseil fédéral est un peu déçu car rien ne provient de tiers ou d’organisations européennes...

Concernant le financement par des tiers du secteur privé, nous traitons ce sujet avec notre conseil d’administration afin d’élaborer un concept convaincant que nous soumettrons au conseiller fédéral Guy Parmelin. Sur ce sujet, nous sommes conscients que lever des fonds auprès du secteur privé n’est pas une sinécure, mais cela est possible avec une approche innovante. 

Concernant les programmes européens, Innosuisse permet justement à des entreprises et des hautes écoles suisses à participer à des initiatives de la Commission européenne comme Eureka; cette initiative soutient des projets de coopération transnationaux de recherche et de développement industriel axés sur le marché. Ainsi, grâce à nos efforts, des acteurs suisses de l’innovation bénéficient directement de financements européens.


Les entrepreneurs ont horreur des méandres administratifs. Pour obtenir des soutiens étatiques européens, il est même nécessaire d’engager des consultants spécialisés. Vos processus sont-ils plus simples?

Innosuisse met tout en œuvre pour minimiser la complexité des démarches administratives, même si nous n’avons pas encore atteint la perfection. Par exemple, pour prendre une décision concernant le financement d’un projet d’innovation, nous n’avons besoin que de six semaines. Le taux d’acceptation est de plus de 50% en moyenne car nous avons défini des critères de qualité élevés mais transparents. Je peux vous rassurer: il n’est pas nécessaire d’engager un consultant spécialisé pour obtenir un financement d’Innosuisse.


Vous avez presque toujours travaillé pour la fonction publique fédérale. Comment avez-vous fait pour ne pas céder aux sirènes de l’entrepreneuriat international?

En fait, j’ai commencé ma carrière dans l’industrie horlogère avant de m’engager au sein du Fonds national suisse, une fondation de droit privé mais financée par la Confédération. Durant mon enfance dans la campagne bernoise, le mot start-up était tout simplement inconnu. Ce que j’ai toujours voulu faire, c’est d’œuvrer pour le bien commun. En tant que directrice d’Innosuisse, je suis fière de contribuer à encourager l’innovation dans l’intérêt de l’économie et de la société.


Source: AGEFI.com

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