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Pour les expatriés, c’est la galère de trouver des amis suisses

La Suisse est très sévèrement notée pour sa capacité d’intégration des expatriés. Plongée à Genève dans la bulle de ces travailleurs hautement qualifiés qui ont toutes les peines du monde à rencontrer des locaux.

Source: LeTemps.ch


Sur la terrasse du toit d’un grand hôtel genevois, Seraphima trinque face au jet d’eau. La jeune femme est russe, comme indiqué sur son badge. Elle est une habituée des soirées d’InterNations, où l’on aime se retrouver entre expatriés. L’organisateur, Gregory Linn, un entrepreneur américain bien intégré à Genève, s’enorgueillit d’avoir fait tripler en trois ans le nombre de membres InterNations au bout du lac, donnant aussi un coup de fouet à son propre réseau. Les invités sont plutôt des cadres supérieurs, pour la plupart du secteur privé. Moyenne d’âge: 35 ans.


InterNations a publié à la fin de l’été une enquête très sévère sur l’accueil helvétique. Les membres de la plateforme ont fait chuter la Suisse parmi leurs destinations de prédilection. La qualité de vie, les perspectives économiques ou les infrastructures helvétiques ne sont pas en cause. La capacité d’intégration des étrangers, en revanche… En trois ans, la Suisse est passée du quatrième au trente et unième rang. Mais, en cette belle soirée d’arrière été, pas question de polémiquer: «Ce sont surtout les mécontents qui répondent aux questions», minimise Gregory Linn.


«Pourquoi apprendre le français?»

«Je suis arrivée à Genève il y a deux ans et le premier ami que j’ai eu était suisse», relate Séraphima, dans un anglais impeccable. «Je l’ai rencontré via Asmallworld, une plateforme beaucoup plus sélect.» La Russe ne voit pas pourquoi elle apprendrait le français. «Dans mon métier (elle travaille dans le domaine de l’art, ndlr), cela ne me rapporterait pas d’argent», rigole-t-elle.


Ses amies, russes elles aussi, froncent les sourcils. «C’est à nous étrangers de faire le premier pas», plaide Julia, experte comptable pour une entreprise où «il n’y a pas un seul Suisse». «C’est difficile de rencontrer des gens d’ici», regrette-t-elle. «Foutaise, intervient un élégant diplomate italien dans de grands gestes. C’est vrai qu’on n’est pas à Rome, les gens ne viennent pas spontanément vers vous.»


«Mauvais procès fait à la Suisse»

Xénophobe la Suisse? «C’est un mauvais procès qu’on fait à votre pays qui compte le plus d’étrangers par habitant au monde», évacue un Congolais, qui a d’abord habité Rapperswil à une époque où «les Africains s’y comptaient sur les doigts d’une main».

Née en République Tchèque, Romana a déménagé à Lausanne il y a quelques années pour ses études. Elle y est restée. «Cela ne m’étonne pas qu’on dise que les Suisses sont renfermés. C’est bizarre, vous faites la bise à des inconnus mais vous mettez énormément de temps à inviter des connaissances chez vous.»

«Comment en vouloir aux Genevois? renchérit Luciano. Ils ont déjà leurs cercles d’amis et ils n’en ont pas besoin d’autres.» Le soir, le trader allemand sort avec ses collègues, tous étrangers. Dans ses propos, il n’y a aucune amertume, plutôt une fatalité.

La compagnie de Luciano l’a aidé à trouver un appartement en vieille ville mais elle ne paie pas le loyer. L’époque des «packages» mirobolants pour les travailleurs détachés semble être révolue. «La régie m’a obligé à payer un an de loyer cash, s’insurge Séraphima. Ils voulaient me faire le même coup la seconde année mais j’ai fait appel à un avocat.»


«Genève? Parfait pour en partir»

Que faire dans cette ville le week-end, c’est mort non? s’enquiert Daniela. Elle vient d’arriver à Genève mais, comme pour ses précédentes affectations, elle imagine faire sa vie ici. «J’ai entendu qu’il y avait des bars sympas dans le quartier de Plainpalais mais que les habitants se plaignaient du bruit», dit-elle, curieuse de s’éloigner du lac. A la table d’à côté, un grand type américain s’est déjà fait son opinion: «Genève est un endroit parfait pour en partir, tout près des capitales européennes».

La rade à leurs pieds, ces expats n’ont pas l’air désespérés. Beaucoup déplorent le fait qu’ils n’ont pas le sentiment d’appartenir à ce coin de pays. Cela ne change par leur vie, plutôt confortable. Mais, quand ils quitteront la Suisse dans quelques années, cela sera avec un goût d’inachevé. Il aura manqué ce petit supplément d’âme.


«J’osais à peine sortir de chez moi»

Même à Genève, la frontière invisible, entre le statut d’étranger et celui d’intégré, ne se franchit pas aisément. Demandez donc à Ashleigh, une Américaine arrivée à Genève l’année dernière. Les soirées d’InterNations très peu pour elle. «Je m’y sens complètement nulle. Tout le monde s’échange des cartes de visite, alors que moi je n’ai pas de boulot», expose cette New-yorkaise, qui a travaillé dans la mode et la communication. Elle s’est résolue à suivre son mari genevois mais avec la ferme intention de se créer son propre réseau d’amis mais elle a vite déchanté. «Pendant des mois, j’osais à peine sortir de chez-moi», continue-t-elle. Quand elle se confie sur ses difficultés, on lui rétorque qu’elle peut «s’estimer heureuse de ne pas être une réfugiée syrienne».

Avec Olga Baranova, une jeune conseillère municipale socialiste d’origine russe, qui a elle aussi eu des débuts «horribles» dans la cité de Calvin, elles viennent de lancer «Adopte un expat». Un site qui veut privilégier les rencontres personnelles entre locaux et internationaux. «Si j’avais eu à mon arrivée un mentor, cela aurait été beaucoup moins intimidant et j’aurais pas eu toute cette tristesse», se persuade Ashleigh.


«Tout d’un coup, le déclic»

«Les Genevois peuvent être des amis loyaux. Mais j’ai l’impression qu’ils ont peur de s’investir si la personne repart au bout de quelques années. Je ne comprends pas pourquoi ils ne pourraient pas avoir des amis dans le monde entier?» s’interroge la jeune Américaine. Genève, si fière d’être une ville internationale, aurait-elle toujours une mentalité de province? Les expatriés tendent un miroir, parfois peu flatteur, aux locaux. «Combien de fois je suis sorti le soir avec des amis et ils évitaient à tout prix tel ou tel bar où il y a soi-disant trop d’expats. C’est un réflexe presque inconscient», pointe Olga Baranova.

«La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une ligne d’arrivée, conclut la conseillère municipale. Il faut deux ans pour que les locaux vous laissent entrer dans leur vie. Tout d’un coup, un déclic se produit et vous avez enfin l’impression de faire partie de cette ville.»


«Les expatriés subissent le climat politique anti-étrangers»


Cofondateur du réseau InterNations, l’Allemand Malte Zeeck explique pourquoi la Suisse est aussi mal notée par les expatriés dans le domaine de l’intégration

Le Temps: Votre étude est-elle fiable?


Malte Zeeck: C’est la troisième année que nous réalisons cette étude. Cette fois, 14 000 expatriés installés dans 191 pays ont répondu à nos questions. Pour la Suisse, 600 personnes ont participé à l’exercice, c’est bien davantage que le seuil minimal de 50 répondants pour qu’un pays rentre dans notre classement.

– Comment expliquez-vous la chute de la Suisse?

– De nouveaux pays figurent dans le classement. C’est le cas de Taïwan qui arrive cette année en tête des meilleures destinations. Mais ces nouveaux venus n’expliquent pas à eux seuls le recul de la Suisse. A vrai dire, je ne suis pas très surpris. Certes, la Suisse offre l’une des meilleures qualités de vie au monde mais elle reste toujours aussi chère. Même les expatriés ont de la peine à se loger, à payer les garderies ou l’éducation de leurs enfants. Mais le principal point noir de la Suisse, c’est l’intégration sociale. Un tiers des expatriés ne se sentent pas les bienvenus. Un pourcentage similaire des personnes interrogées est d’avis que les Suisses sont hostiles aux étrangers.

– Que conseilleriez-vous pour améliorer cet aspect?

– L’Allemagne, l’Autriche, voire la Scandinavie ont des résultats comparables. A l’opposé, les pays latino-américains, l’Espagne ou l’Italie sont considérés comme plus accueillants. Je crois que les expatriés subissent le climat politique de défiance à l’égard des étrangers. Les autochtones ne font pas la différence entre immigrants, réfugiés et expatriés. L’amélioration de la perception des pays d’accueil est une tâche de longue haleine, qui doit commencer dans les écoles. Les autorités, mais aussi les grandes entreprises helvétiques, doivent pousser pour la création d’une culture d’accueil. Car les Suisses s’expatrient volontiers à l’étranger, eux aussi.

– Vous faites davantage pour faciliter les contacts entre expatriés entre eux plutôt qu’avec les autochtones, non?

– Notre but est de favoriser la rencontre des esprits ouverts au monde. D’ailleurs, 30% des membres d’InterNations sont des locaux. Ils étaient eux-mêmes expatriés par le passé ou envisagent de partir à l’étranger. Ils retrouvent ainsi à nos événements une atmosphère internationale.

– On a parfois l’impression que la communauté expatriée est tellement fournie, comme à Genève, qu’elle n’a pas besoin de faire des efforts pour s’intégrer réellement.

– Parfois, c’est le contraire. Quand les expatriés sont tellement nombreux, comme à New York, à Paris ou à Londres, les nouveaux venus se sentent complètement perdus. Il est plus facile de trouver des repères quand les endroits où rencontrer des internationaux ne sont pas légion. Ceci dit, socialiser avec des gens qui connaissent les mêmes expériences et les mêmes difficultés est un premier pas. Le pas suivant, pour sortir de cette bulle et nouer des amitiés avec des locaux, est bien plus compliqué. Beaucoup d’expatriés sont prêts à faire des efforts pour apprendre la langue. C’est d’autant plus difficile dans un pays plurilingue comme la Suisse.


Les autorités pas vraiment inquiètes

Le verdict d’InterNations alarme-t-il les autorités, qui pourraient être inquiètes de l’exode des expatriés, ces travailleurs à haute valeur ajoutée? «Les internationaux pleurent quand ils arrivent à Genève mais aussi quand ils doivent repartir», plaisante Olivier Coutau, le délégué du canton à la Genève internationale. «On ne me fera pas croire qu’il est impossible de nouer des liens à Genève, où il y a 40% d’étrangers. Et l’offre d’accueil existe», insiste-t-il, citant le travail du Centre d’accueil de la Genève internationale (CAGI).

C’est une piqûre de rappel salutaire, juge au contraire Véronique Kämpfen, directrice de la communication de la Fédération des entreprises romandes. «Il est faux de croire que les multinationales ne quitteront jamais la Suisse parce que leurs employés s’y sentent si bien», dit-elle.

«La Suisse et le canton de Genève investissent beaucoup d’argent pour rénover les sièges des organisations internationales, estime, quant à lui, le politologue américain Daniel Warner, mais ils devraient aussi se soucier davantage de la convivialité.»


Source: LeTemps.ch

 
 
 

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